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jeudi 21 décembre 2017

Petite histoire du protestantisme

  




Conte



 


Le visiteur de Noël



Au soir du 24 décembre 1703, dans une auberge des Cévennes, quatre officiers, quatre « dragons » s'apprêtaient à quitter avec regret une salle confortable et la grande cheminée où rôtissaient des chapelets d'oies dodues. Par ordre du Roi Soleil, ils devaient réduire à merci les protestants de cette région qui n'avaient pas abjuré leur foi après la Révocation de l'Édit de Nantes et qui étaient donc des hors-la-loi.
Ce soir, le gouverneur du Languedoc les avait chargés de mettre la main sur un meneur : un certain Étienne Riboux, prédicant au Désert. Il leur fallait lui tomber dessus par surprise et pour cela, partir à pied dans la montagne, déguisés en bergers.
Luttant contre les tourbillons de neige, ils parvinrent péniblement à une bergerie à l'entrée du hameau où habitait ce Riboux.
Le capitaine, Gabriel de Vignancourt de Pétigny-Pervanchelles, avait décidé de garder pour lui seul la « gloire » de ce fait d'armes; il enjoignit à ses hommes de rester dans la bergerie, prêts à accourir au premier signal. Et le voilà parti vers la maison du rebelle ; il appuya sur le loquet et la porte s'ouvrit.

La fille de Riboux était là, une enfant. Pâle et droite dans un grand châle noir, pétrifiée devant ce visiteur du soir. Elle était troublée, la fille du prédicant. Mais, son doux visage s'éclaira d'un sourire... et sans façons, elle se jeta à son cou ! Le dragon restait coi, ne sachant que dire, regardant autour de lui : un bouquet de houx jaillissait d'un pichet, deux assiettes de faïence sur la table, un bougeoir d'étain, une chandelle allumée; tout n'était que paix et silence.
- Entrez, je vous attendais dit-elle.
- Où est ton père ?
- Parti dans la montagne pour célébrer l'office de Noël ; mais vous prendrez bien la soupe de castagnes, toute chaude et des beignets de sarrasin au miel ?
- Tu m'attendais, dis-tu ?
- Bien sûr, vous êtes le visiteur de Noël que Mamée m'avait annoncé. Elle me disait souvent : « Si un visiteur frappe à ta porte un soir de Noël, ouvre lui vite ; c'est peut-être un fugitif qui court dans la montagne pour échapper à ceux qui nous persécutent, c'est peut-être un envoyé du Seigneur qui parcourt la terre pendant la sainte Nuit. Il doit toujours y avoir pour lui une assiette à remplir de soupe chaude et un bon feu pour qu'il y délasse ses pieds et il te bénira toi et les tiens.
Un peu gêné, l'homme détourna la conversation :
-  Comment t'appelles-tu petite ?
- Droulette, pour vous servir.
- Eh bien, Droulette, j'ai faim et j'ai froid. Sers moi donc à dîner en attendant ton père.
- Mon papa aussi doit avoir faim et froid dehors par une nuit pareille, mais il faut bien qu'il aille porter la bonne Parole à tous ceux qui vivent dans les grottes, poursuivis, traqués. C'est terrible quand ils se font prendre, si vous saviez ! Ils sont massacrés ou envoyés aux galères ! Je tremble chaque fois que je vois partir mon père, mais je suis si heureuse que le Seigneur se serve de lui pour réconforter ces pauvres gens.
Et voilà que Gabriel de Vignancourt soudain, ne pouvait plus rien avaler ! Il se souvenait d'une « assemblée » surprise en pleine nuit et transformée en carnage ; il entendait les cris de ceux qu'il avait séparés et les dernières paroles du prédicant :
- Vignancourt, pourquoi nous persécutes-tu, toi qui te dis chrétien ?
Il n'avait plus faim, il avait hâte de partir. Mais Droulette, déçue, disait :
- Mon père ne vous verra donc pas, mais... (elle hésitait, n'osait pas formuler sa requête...) Pourriez-vous, avant de partir, me lire la belle histoire de Noël ?
 Devant la mine ahurie de Gabriel, la petite fille ajouta :
- Je comprends le français, mais je ne le lis pas encore très bien. Papa rentre tard, fatigué, alors si vous ne voulez pas me lire la Bible, Je n'aurai pas de Noël.
Et elle plaça devant le brillant officier, un pauvre bouquin relié de parchemin usé, mal imprimé, corné. C'était le livre excommunié, car écrit en français ! Gabriel osait à peine le feuilleter, saisi d'un respect étrange. Mais comment refuser à cette innocente ? Et comme malgré lui, il commença :

« Il y avait dans cette contrée des bergers qui couchaient aux champs, la nuit pour veiller sur les troupeaux... »


Lorsqu'il eut fini, il resta un long moment rêveur. Les paroles de Noël chantaient dans son coeur, éveillant de lointaines et étranges résonances. Il lui semblait qu'une enfance inconnue se glissait dans sa mémoire radieuse et pure.
- Je crois que... je crois que je pourrais être des vôtres, petite, si tu voulais...
Ne recevant pas de réponse, il leva les yeux. Droulette dormait, la joue posée sur les bras repliés, une joue rose comme un pétale de fleur. Les cheveux bouclés se répandaient sur la table, pareils à une toison d'agneau.
- Dors ma Droulette, dors. Aie confiance. Je ferai tout ce qui sera en mon pouvoir pour que ton père soit épargné ; je le jure sur cet Évangile qui nous est commun. Il chercha et trouva une plume et de l'encre et écrivit sur la page de garde du livre saint :
- Le visiteur de Noël priera pour toi et pour ton père.
Puis il ajouta un post-scriptum à son message :
- Il faut vous cacher, d'autres visiteurs pourraient venir.
S'inclinant alors devant la mignonne endormie, aussi profondément qu'il l'eût fait à Versailles, il quitta celle qui serait désormais dans son coeur la petite soeur qu'il n'avait jamais eue. Il ouvrit la porte sur la tourmente et s'enfonça dans la nuit.

Dans la bergerie, ses camarades se tenaient recroquevillés sous leurs manteaux
- Holà ! cria Gabriel dans les ténèbres, allons-nous en, je n'ai trouvé personne. Retournons en ville, nous trouverons peut-être quelques restes de ce réveillon qui nous passa sous le nez.
Il les entraîna sans peine !
Le chemin lui parut moins dur qu'à l'aller, car il portait en son coeur une force et une lumière nouvelles. Et à mesure que Gabriel avançait vers son destin... là-bas, de l'autre côté de la montagne, un homme descendait rapidement, un livre sous le bras, vers une pauvre maison où l'attendait une petite fille endormie et confiante.

L'aube de Noël se lèverait bientôt. La mille sept cent troisième aube depuis la naissance d'un petit enfant pour qui les anges avaient proclamé :

« Gloire à Dieu au plus haut des cieux et paix sur la terre aux hommes de bonne volonté. »

1 commentaire:

  1. Merci Seigneur qui a le pouvoir de sauver une âme jusqu'à changer ses mauvaises intentions en bonnes intentions.

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